Vacances de la performance

Aujourd’hui plus qu’hier, les vacances sonnent une obligation de réjouissance, de plaisir, et de réussite. On pourrait d’ailleurs aller plus loin en disant qu’elles sonnent une obligation de résultat. Résultat d’avoir passé des vacances performantes, dans le sens du bonheur, d’une efficacité reposante, et qui pourtant se déroulent sous le signe d’une multitude d’injonctions, qui parfois sont bel et bien contradictoires…

En effet, au regard du questionnement au retour de vacances « Alors en forme, reposé ? » «  Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as visité quoi ? T’as pris des photos ? ». Les vacances doivent permettre de se déconnecter, de se reposer, de faire le plein d’énergie mais également, de profiter de ses proches : famille, ami(e)s, de ses enfants (aussi pour diminuer la culpabilité ressentie durant le restant de l’année on leur accorde un maximum de temps…et d’énergie : on va au zoo, au parc aquatique, on veille volontiers pour participer aux diverses soirées animées,….) de pratiquer des activités sportives (parfois inhabituelles), du tourisme culturel et patrimonial, tout en tirant profit des bienfaits accordés par l’air marin, le farniente à la plage ou par la lumière naturelle et les grands espaces en montagne.

Oui, les injonctions contradictoires viennent à la fois des buts poursuivis (se reposer et aussi profiter), tout comme des façons de les atteindre (ne rien faire d’un point de vue professionnel et tout faire d’un point de vue privé). 
Il semblerait que souvent le gagnant parmi ces injonctions ne soit pas le vide văcāre, mais bien le remplissage. Montrer à tout prix que toutes les cases de la liste « vacances réussies » ont été cochées. 

Les vacances sont effectivement signe de réjouissance 

Il n’y a guère que le mauvais temps, (ne pouvant se contrôler), qui peut expliquer une humeur maussade et des vacances ratées. 
Car en effet, le reste doit être ou rester sous contrôle…
Cette parenthèse, symbole de farniente, de décontraction, de plaisir, d’apéros partagés, connait des règles de « bonne conduite », conditions de reconnaissance et d’acceptation par les autres. On n’y parle pas boulot, tracas du quotidien…
Selon Berthon, « Le bonheur projeté dans les vacances n’est pas de surface et dissocié des épreuves de la vie sociale ; il serait devenu, au contraire, une structure élémentaire de l’existence » (Salomé Berthon)         
On comprend dès lors l’importance d’afficher réjouissances et bonheur. Publier ses photos de vacances devient un réflexe, dirions-nous, une « obligation ». Certains parlent d’ailleurs d’une sorte « d’injonction un peu sociale ». 
Et nous voici en pleine course à l’échalote sur les réseaux sociaux….
Les vacances comme structure élémentaire de l’existence, voici de quoi conforter les militants pour le droit aux congés payés !

Mais que cherchons-nous ?

Nous cherchons le regard de l’autre sur notre expérience, une espèce d’acceptation, de validation ou d’invalidation, nous sommes en quête de reconnaissance.  
Il s’agit au travers de cette reconnaissance, du jugement d’autrui de se construire et d’acquérir une identité. L’une des voies principales d’accomplissement de l’identité passe en effet par la quête de l’identité dans le champ social. Sans le regard de l’autre, sans cette reconnaissance nécessaire à sa construction nous sommes voués à sombrer dans une solitude aliénante ou « aliénation sociale ». (Sigaut 1990). L’identité est en effet « l’armature de la santé mentale » (Dejours & Gernet, 2009).

Ceci est d’autant plus vrai à mesure que l’identité devient « fluide », c’est-à-dire changeante et rapidement menacée d’obsolescence. Le sociologue Zygmunt Bauman l’explique par la disparition des repères autrefois pérennes qui préfiguraient de la destinée de chacun. Par exemple, la religion donnait un cadre qui permettait le salut ou la perdition. L’état assurait la sécurité et un certain niveau de confort social en échange de citoyenneté. Les castes décidaient des occupations et des relations entre membres et non membres. L’école formait à un métier dont on ne changeait plus ou peu. En d’autres termes, une bonne partie des éléments constituant l’identité était fixée et non discutable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. 
Mais lorsqu’il n’y a plus de repères, lorsque la société devient « fluide », comment se connaître et se reconnaître ? Et bien en faisant savoir ce que l’on fait à mesure qu’on le fait en pensant faire connaître qui l’on est à mesure que l’on est.

Société individualiste le pouvoir de réussir à portée de main

C’est bien parce que certaines barrières ont en apparence disparu que l’individu s’imagine que tout est possible. Il est vrai que nous pouvons voyager à l’autre bout du monde, ou que nous pouvons changer de tête par un coup de bistouri. Le progrès a repoussé certaines limites humaines. 
Pour autant, soyons conscients que désormais, c’est la société de consommation qui entretient ce rêve de toute puissance : « Si vous possédez ceci, et que vous le montrez à d’autres, vous vous rapprocherez de votre idéal ». 

Poster des photos de vacances est « devenu un réflexe ».Selon une étude de Homair et OpinionWay menée du 8 au 9 janvier 2020 et reprise dans un article publié dans actu.fr. « Il y a comme une injonction un peu sociale à faire circuler ses photos de vacances. Cela devient une nouvelle exhibition de soi ; c’est « soi-même » en vacances et autrement et sans autre forme de message. On arrive à un stade où il n’y a pas de vraies vacances sans un post sur ses vacances. Le post vient donner de la consistance à ses vacances. Et il y a aussi cette autre idée de « faire valider » ses vacances par autrui, une forme d’acquiescement qui est recherchée ». (Rédaction Actu ; 2020)
Partager des photos, des informations personnelles et entretenir des discussions avec les contacts, en suscitant leurs réactions, augmenteraient la popularité sur internet (Christofides et al., 2009, p. 343). Augmenter cette popularité c’est augmenter les possibilités d’être reconnu par autrui et par conséquent d’acquérir une certaine identité.

Finalement les divers usages sur les nombreux outils de réseau social participent également de la fabrication d’une image, qui peut être chaque fois différente. La démultiplication de ces images numériques de soi peut alors, par voie de conséquence, alimenter la description d’un phénomène de « dissolution de l’identité » (Cardon, 2008).

Cela me fait penser à une bloggeuse anglaise, mère de quatre filles dont deux jumelles et dont le pseudo était MOD (mother of daughters). Cette jeune femme a commencé à poster des photos et des vidéos d’elle et de sa famille sur insta, puis, les followers aidant, elle posta des contenus sponsorisés, jusqu’à en faire un juteux business. Ses sujets phares ? L’acceptation de soi et des circonstances. Le bonheur malgré les contraintes. Être capable de mener une vie de famille remplie, de tenir ma maison de façon impeccable, d’exercer mon travail de sage-femme, de trouver du temps pour les copines, et de tenir un blog. Elle avait acquis une certaine notoriété. Et avec la notoriété sont venues les critiques. Car il y avait des messages de soutien et des messages de détestation. Mise à mal – elle parle de trauma – par les critiques proférées à son encontre et envers sa famille, elle décida de créer un compte insta alternatif. Elle utilisa ce compte alternatif pour « troller » à son tour d’autres bloggeuses, et parmi elles certaines de ses amies. Tout cela en cachette, en menant une double vie digitale. Le pot aux roses découvert, elle supprima tous ses comptes et se fendit d’un mot d’excuses qui n’a pas su trouver écho. Est-ce là un exemple de « dissolution d’identité » ?

C’est l’avènement de la célébrité, aussi facilement acquise que retirée. Et chacun de s’y tenter pour obtenir une reconnaissance de soi jusqu’à l’effacement. 

Alors, que ce soit pendant les vacances ou bien pendant le reste de l’année, comment faire pour être sans avoir besoin de paraître ?

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